Le livre, orphelin d’une génération algo-rythmée
I. Introduction
A) Manifeste d’une génération
Ce court essai est une main tendue aux jeunes générations qui ne lisent plus. Qui, emportées par le courant numérique, ne saisissent plus l’importance de la lecture, qui semble si ennuyeuse, sans intérêt et dépassée.
Ce texte s’appuie sur mon expérience personnelle, qui je crois, témoigne d’un problème générationnel systémique.
Ce texte est aussi celui d’un constat, celui de l’échec de l’école dans la transmission de l’appétence à la lecture, décuplé par l’avènement de l’opportuniste internet.
Ce texte est la transcription du cri, celui d’une génération, chair à canon dématérialisée, bêta-testeuse, gueule cassée du numérique.
Ceci est un appel à l’insurrection numérique.
B) Genèse d’une réflexion
Lorsque j’étais plus jeune, je n’étais pas un grand lecteur mais j’appréciais lire. J’avais même certaines sagas favorites, Cherub ou Chair de Poule pour ne citer qu’elles.
J’ai alors 10 ans, nous sommes en 2008, internet se développe doucement et je m’apprête à rentrer au collège.
Puis après, jusqu’à mes 25 ans, à part certaines œuvres étudiées dans le cadre scolaire, quand je les ai lues, c’est le néant.
Que s’est-il donc passé ?
C’est en me posant cette question qu’est née l’idée de ce texte, car je pense que mon cas non isolé atteste d’un problème endémique.
Nous aborderons ainsi dans un premier temps, les manquements de l’école dans l’initiation à la lecture, puis dans un second temps, comment internet en a profité pour s’immiscer fourbement dans notre rapport au Livre. Enfin, nous finirons par un éloge à la lecture et à son importance.
II. Les responsabilités de l’école
L’école nous répète qu’il faut lire, car c’est important, de façon dogmatique et autoritaire, sans transmettre ni sa passion, ni sa beauté.
Le système éducatif et sa rigidité nous enseignent que lire se limiterait à la consommation mécanique de grandes œuvres, recommandées et recommandables, certes.
L’enfant, en plein développement, se retrouve bien souvent à lire des œuvres imposées, qui ne lui parlent pas, qui le laissent indifférent, qui résonnent creux en lui.
Il pense alors qu’il doit sûrement être le problème, qu’il ne doit pas être fait pour lire. Car vois-tu, ce livre est un classique, un chef d’œuvre, une relique littéraire.
L’élève se catégorise alors, injustement, en tant que non-littéraire. Comme s’il n’y avait pas assez de livres pour chaque individu. Comme si la lecture n’était réservée qu’à une certaine caste.
Le problème de cette étiquette, contrairement aux autres attribuées à l’école, c’est qu’elle dépasse largement les cadres de l’enseignement et du travail. Cette appellation est une embûche sur le cheminement de la lecture, un sabotage. Elle prive l’individu de son arme la plus fiable face au tyran numérique, limitant indirectement les horizons du développement de son imaginaire et de ses schémas de pensée.
Mes parents m’ont transmis le goût du livre, l’école m’en a dégoûté.
Alors oui, l’école joue un rôle clé dans l’initiation à la lecture, et fait ce qu’elle peut, mais ce qui fonctionnait à l’époque ne suffit plus.
L’enseignement de la lecture a tragiquement failli face à la propagation d’internet. L’école n’arrive pas à lutter contre la binarisation de nos psychés et cela doit changer, car nous créons une société de dissociés à la pensée polarisée.
Bon, assez tapé sur ce pauvre système scolaire, attelons-nous désormais à dénoncer comment les écrans ont ébranlé notre capacité à lire.
III. L’écran, nouvel obstacle
Il se peut que, dans une société ultra-numérisée, l’individu ne prenne plus le temps pour rien. Il se pourrait qu’il coure sans arrêt derrière la productivité, l’efficacité et l’optimisation de son temps. Il semblerait qu’il étouffe sous l’avalanche d’informations, au point d’empiler sans fin les podcasts, vidéos et articles dans une liste “A regarder plus tard”.
Il semblerait qu’il soit déconnecté de lui même, déphasé de la célérité naturelle de la vie, au point qu’il ne sache plus apprécier la monotonie de l’écoulement du temps.
Ses repères d’Homo sapiens sont brouillés, déboussolés, perturbés.
Notre temps d’attention, Or numérique, nous a été subtilisé. Cette zombification de masse rend la réalité, et toutes activités crues, vides d’intérêt. Crues, sans assaisonnement de dopamine extérieure.
Internet nous a insensibilisé, nous a anesthésié et toute personne ayant essayé de se remettre à la lecture en a payé les frais. Déployer la capacité de concentration qu’elle nécessite nous demande désormais de redoubler d’efforts.
Lire n’a jamais été aussi difficile, et pourtant cela n’a jamais autant été aussi important.
Certains téméraires tentent de redonner une chance aux livres, mais sans saisir pleinement l’importance de l’enjeu, ils finissent bien souvent découragés et retournent se noyer dans le cyber-océan.
Alors à ceux là, et à tous les autres, j’aimerais essayer de nourrir en vous la motivation nécessaire et suffisante pour renouer avec le papier, vous partager ce que la lecture a fait pour moi, que le numérique n’a jamais fait et ne fera jamais.
Je tenterai de verbaliser, plus poétiquement, l’urgence de la lecture dans l’époque qui est la nôtre. Et j’espère réussir à alimenter en vous, une force soudaine, ardente, violente et souveraine, capable de renverser votre oppresseur.
IV. Éloge du Livre
A) La curiosité
La définition de la curiosité faite dans nos sociétés fait froid dans le dos. Elle se limiterait au gavage puéril et machinal de faits extérieurs. Définition grossière, vulgaire et réductrice de ce qu’il y a de plus pur en l’être, incitant l’individu à s’oublier lui-même.
La véritable curiosité est une impulsion surgissante, poussant à explorer et mieux comprendre la vie par le reflet de notre monde intérieur.
La curiosité véritable n’est ni une dissipation de l’énergie curieuse, ni la compensation d’une introspection reniée.
La tant convoitée attention et la curiosité sont intimement liées. Se faire vampiriser son attention, c’est gaspiller futilement sa curiosité. Et laisser sa curiosité s’éparpiller trop longtemps sur internet, c’est surexposer sa capacité d’attention au Far West numérique. Formant ainsi la danse circulaire vicieuse de la dispersion de notre énergie curieuse.
Pour être exprimée pleinement et souverainement, la curiosité doit s’échapper de la cage numérique.
Lire c’est intentionnellement attribuer son attention. C’est par la même occasion refuser de la laisser errer numériquement.
La curiosité est le fervent défenseur de notre unicité. La nourrir insatiablement de contenus formatés et formatant, c’est affaiblir notre individualité.
B) Prendre du recul sur l’époque
Le contenu sur internet est piégé dans l’époque, qui naturellement a peu de recul sur elle-même. Le livre, lui, a transcendé les époques en quasiment tout temps et tout lieu.
Le livre c’est le pouvoir de s’immerger, l’espace d’un instant, dans une civilisation, une doctrine, un contexte, une émotion, une condition. Il nous permet de voyager dans la pensée humaine, de la Grèce Antique, au Romantisme en passant par La Renaissance ou la Second Guerre Mondiale.
Lire c’est le meilleur moyen de se libérer subtilement des conditionnements socioculturels et politico-économiques de son époque.
C) Embrasser l’irrationalité
Je constate souvent, et j’ai eu fait, que lorsque nous essayons de nous remette à la lecture, nous reproduisons les schémas issus du numérique.
Nous courrons derrière les recommendations, souhaitons être rassuré quant à la rentabilité du futur temps investi. Mais sortir des algorithmes passe aussi par le rejet de l’optimisation frénétique de notre temps d’attention. Rationalisation de notre temps de cerveau disponible, bien ironique, illusoire, voire absurde, car parasitée par notre système embarqué de poche.
L’algorithme choisit tout à votre place, il ne vous laisse maître en rien. Se convaincre du contraire c’est, soit ignorer son fonctionnement, soit être aveuglé par un ego pensant pouvoir tout dompter.
Lire c’est apprendre à se délester de ses attentes et laisser les livres venir à soi. Lire c’est attirer à soi les œuvres qui soignent l’âme dans un procédé continu de résurrection personnelle.
La lecture s’intègre délicatement dans le processus intime de notre subjectivité.
Alors allez dans une librairie, débranchez votre rationalité, lâchez prise et laissez-vous guider vers le livre qui vous appelle. Peu importe le titre, l’auteur ou le sujet, accueillez-le et laissez le vous murmurer toute sa beauté.
Bien que n’étant pas innée, à force de consolidation, une relation avec la Lecture se forgera.
V. Conclusion
La lecture est un mouvement de contre-culture numérique.
Utilisée en symbiose avec internet, ils forment la coopérative d’accès au savoir la plus intelligiblement disruptive qui ait jamais été.
Par son poids, le livre déchire les mailles du filet de l’espace-temps virtuel. Sans l’aide de cette impulsion gravitationnelle, l’individu, impuissant, y restera piégé.
Lire est un acte d’auto-activisme souverain.